Entheoverse – Septembre 2017

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TiHKAL – Why I do What I do

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Voici une traduction en français de l’introduction du livre Tihkal, où Alexander Shulgin se remémore une conférence auquel il a participé au début des années 80 et où il pu expliquer les raisons de ses recherches sur les médicaments psychédéliques.


POURQUOI JE FAIS CE QUE JE FAIS

À un certain moment au début des années 1980, on m’a demandé de venir au campus de l’Université de Californie à Santa Barbara afin de faire une communication lors d’une conférence qui était organisée par un petit groupe d’étudiants. Mon attention a été attirée par le fait inhabituel que toute la conférence devait être consacrée au sujet des médicaments psychédéliques. Comment un groupe d’étudiants dans un campus majeur de l’Université de Californie a-t-il réussi à prendre cette initiative et diffuser largement ce symposium dans un domaine politiquement dangereux ?

Je me souviens d’une occasion similaire quelques années auparavant, lorsque des arrangements avaient été organisés pour une conférence sur le campus de Berkeley de l’Université de Californie sur le sujet du LSD. Au fur et à mesure que la date se rapprochait, la tension ressentie par certains sponsors de la faculté semblait devenir intolérable. Des pressions ont été faites sur les organisateurs pour annuler la conférence, pour la déplacer ailleurs, pour s’assurer que tel ou untel ne puisse pas venir, pour limiter la publicité et dissocier le nom de l’Université. Un merveilleux spectacle de paranoïa partagée. De petits événements, tels que le griffonnage des mots « Juif! Juif! Juif! » sur l’une des affiches d’annonce sur le campus de Berkeley (apparemment par un membre du corps professoral du département de psychologie qui avait dépassé les bornes) a poussé vers la recherche d’un autre lieu. Celui-ci a été trouvé dans un bâtiment d’extension de l’université, sur la rue Laguna à San Francisco.

Oh my, c’était un événement mémorable. Il y avait une douzaine de conférenciers et de sommités sur scène, un public de plusieurs centaines d’étudiants très branchés venant de Haight Ashbury ainsi que cinq ou six « costumés » avec des chemises blanches et des cravates, marchant dans tous les sens dans les allées extérieures, prenant continuellement des photos de tout et de tout le monde, probablement avec une pellicule à haute vitesse.

Je ne retrouve pas mes notes de cette conférence LSD, donc je peux seulement commenter de mémoire une scène ou deux. L’un des invités originaux était Allen Ginsberg, et une partie du compromis qui avait été trouvé pour permettre à la conférence d’avoir lieu (en plus de la déplacer à San Francisco), était de décommander Ginsberg et d’inviter le procureur général de l’État (je crois que son nom était Younger) pour parler, vraisemblablement sur les aspects juridiques de la consommation de drogues. Par chance, j’ai assisté à une scène fascinante sous le porche Est de l’auditorium. Ginsberg bondissait de haut en bas, les poings serrés devant lui, en criant directement au procureur qui était face à lui : « Eichmann, Eichmann, Eichmann! » Et le regard du procureur général signifiait clairement qu’il ne comprenait pas. Dans l’allocution d’ouverture, une annonce a été faite à la congrégation que Ginsberg avait été initialement invité (applaudissements), mais que les ordres venant d’en haut disaient qu’il ne devait pas apparaître sur la scène en tant que participant (huées), mais maintenant il pourrait être sur la scène en tant qu’observateur et tout commentaire qu’il choisit de faire serait dans ce nouveau rôle (applaudissements redoublés). Cela donne la saveur de la réunion. Dans ma mémoire, le procureur n’a pas pris la parole.

Le concert du soir présentait des projections d’huiles et de filtres lumineux qui étaient populaires à l’époque, l’odeur du cannabis était omniprésente. Tim Leary était le héros de la soirée, et partout où il allait, il avait une bande dédiée de groupies qui le suivait. Inutile de dire que c’était la dernière conférence de ce genre associée au campus de Berkeley.

Cette invitation au campus de Santa Barbara avait quelque chose de semblable, en un peu plus décontracté. J’étais intrigué et curieux, alors j’ai accepté.

Mon hôte était Robert Gordon-McCutcheon, un étudiant d’honneur dans le domaine de la philosophie religieuse. Il m’avait indiqué qu’il y aurait un large public d’étudiants intéressés et que je serais le bienvenu quelque soit mon sujet. Ce qui, après tout, était une invitation très séduisante. Mais alors, je me souvenais aussi de la désastreuse réunion sur le LSD à San Francisco, où les conférenciers invités n’étaient pas particulièrement bien accueillis par leurs hôtes académiques et qu’ils étaient rentrés chez eux avec quelques cicatrices psychiques. Donc, j’ai pensé, avoir une image d’académicien propre sur lui serait une superbe défense contre un tel défi! J’y participerai avec cette pensée à l’esprit.

J’ai quelques souvenirs vivaces de certains préliminaires à cette conférence.

Il y avait une réunion avec de nombreux dignitaires invités dans une maison privée dans les collines derrière Santa Barbara. Alice et moi y sommes allés en voiture, et nous nous sommes retrouvés dans un vaste patio puis dans un salon également très large, avec peut-être quarante personnes assises autour d’un cercle à trois profondeurs. Nous étions des inconnus, alors nous nous sommes blottis contre un mur, derrière une barricade d’âmes avides. Tout d’abord ça, et ensuite cela : une personne bien connue a été présentée. Nous avons reconnu certains noms, mais nous n’avons pas eu l’occasion de rencontrer ces personnes ou de parler avec eux. Il y avait un certain espoir exprimé que cette conférence puisse servir d’aire de lancement pour un renouveau du mouvement psychédélique. Ce monsieur ici écrirait l’essai définitif. Cette femme là-bas communiquerait avec son agent d’édition pour s’assurer que cette réunion soit enregistrée dans l’Histoire. Encore une autre personne, là-bas, servirait d’agent de presse pour documenter – à travers une interview radio le lendemain – l’impact terrible de ce rassemblement de l’élite. Alice et moi sommes partis après un petit moment.

Il y avait, en effet, une interview radio le lendemain. Je me suis assis dans un petit bureau avec une demi-douzaine de notables parmi lesquels Tim Leary unique personne dont je me souviennes. Il représentait vraiment tout ce qui était nécessaire pour attirer l’attention du public sur la conférence, et j’ai été libéré de n’avoir à répondre à quoi que ce soit, ni même de parler à qui que ce soit. Je me suis éclipsé tranquillement, car j’avais aussi accepté une rencontre publique ailleurs, un séminaire à l’U.C.S.B. Département de Chimie. C’était l’une des parties académiques qui permettait aux organisateurs de prêter le terme « scientifique » à la conférence. L’administration universitaire pouvait faire valoir qu’il y avait eu un séminaire de recherche à l’École supérieure de chimie comme corollaire à cette « conférence psychédélique ». Vous voyez ! Tout était vraiment propre et légitime !

Mais les choses n’étaient pas si lisses dans le département de chimie. Le professeur qui m’invitait ne me connaissait pas, ne savait pas ce que je faisais, et a supposé qu’il devrait être l’hôte d’un homme imprédictible qui épouserait l’usage et l’abus de drogue. Avec une certaine crainte, il a autorisé la tenue du séminaire et a été soulagé de découvrir qu’il devait y avoir une participation sans précédent des diplômés et des étudiants de premier cycle à la conférence. J’étais sur mon meilleur aspect et j’ai fait une présentation maniaque mais scientifiquement impeccable sur les origines, les synthèses et les mécanismes d’action possibles des composants dans le domaine des neurotransmetteurs agonistes. C’était 100% kosher, rempli de mécanismes de réaction SN-2 et de structures chimiques dessinées avec précision, que j’appelle des « dirty pictures ». Ça a été un succès retentissant, et ça a peut-être apporté un peu de soutien aux organisateurs de la conférence elle-même.

Ce dont je me rappelle concernant la préparation de cette conférence, c’est que j’étais assis dans un laboratoire du Life Science Building de l’U.C. Campus, au département Criminologie, à taper sur une ancienne machine à écrire afin d’organiser le flux de ce que je voulais dire. C’était écrit en Monospace sur du papier jaune. Je me souviens que je ne savais pas complètement pourquoi je faisais ce que j’étais en train de faire, mais que c’était bien ce que je voulais exprimer. Peut-être que si j’étais resté seul pendant quelques heures de plus, j’aurais trouvé la réponse. Même si je ne savais pas à l’avance ce que je voulais dire, c’est venu en l’écrivant, et j’ai fini par avoir un brouillon qui me paraissait correct. Le discours serait peu révélateur pour une personne qui aurait, jusqu’alors, gardé un profil bas, mais j’étais prêt à attirer l’attention de certains. C’est ce que j’ai dit il y a presque vingt ans, et ça me parle encore aujourd’hui.

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